Wednesday 31 October 2012

Pékin, Luoyang, Xi'an. La Chine, défenseur de la foi ?


Le 21 septembre 2012

Pour ceux qu'intéressent les inquiétudes de l'Inde relativement aux probables régime de faveur consentis par le Népal aux investissements chinois :


Compléments et bémols au mail des 19 et 20 septembre.

Pour donner un peu de contexte à l'optimisme du réceptionniste de l'Alley Garden Hotel – appelons-le Xavier - reflétant sans doute celui de beaucoup de Chinois, je voudrais donner les précisions et faits suivant :

Les Hui sont présents en Chine depuis un millier d'année et sont majoritaires au Ningxia qui bénéficie comme la Mongolie et le Tibet du statut de région autonome. Ce sont les descendants de commerçants arabes ayant épousé des femmes han. Ils ont souvent un peu de poil au menton. S'il est vrai que dans l'Est, où ils représentent de très petites minorités, on les remarque peu, je sais qu'au Ningxia et dans d'autres régions de l'Ouest (Gansu, Qinghai) des tensions entre Hui et Han se manifestent assez régulièrement.

Kaïfeng représente dans l'Est un cas assez particulier. On y vit s'installer au cours du premier millénaire des commerçants juifs dont une partie des descendants se convertit à l'islam. Ces musulmans-là ne sont ni Hui ni Ouïghours – musulmans turcs du Xinjiang ou Turkestan chinois. Je suis allé dans ce qui est supposé être le quartier de ces juifs et musulmans mais n'y ai vu ni turban, ni calotte, ni femmes voilée, ni jihab ni niqab, rien qui évoque le judaïsme ou l'islam si ce n'est deux boucheries arborant une bannière noire portant en dessous de caractères chinois des caractères arabes. Une boucherie halal/kosher sans doute. Et un ou deux regards noirs à mon passage, alors qu'en général les Chinois sont plutôt souriants et même marrants.

Pour rappel la Chine est beaucoup moins tolérante avec les Ouïghours du Turkestan qu'avec les Hui, qui sont chinois et sinophones depuis plus d'un millier d'années. Les Ouïghours en effet réclament, comme les Tibétains, un état autonome. La méfiance de la Chine envers les Ouïghours n'est donc pas fondée sur des motifs religieux mais bien politiques. Elle est de même nature que celle qu'elle manifeste envers les Tibétains ou même Taïwan. C'est l'intégrité du territoire national qui est ici en jeu, non la crainte d'infiltration d'une « troisième colonne ».

Mais, bien que je ne l'espère pas, si les Chinois permettent au wahabisme de mener la même politique de subventionnement à leurs minorités que la majorité des états occidentaux leur a consenti au bénéfice des immigrés je crois que l'optimisme de la Chine ne fera pas long feu. Il est dans la nature de l'islam de tenter de s'imposer aux sociétés sédentaires, ou à défaut de s'y infiltrer avant de les réduire à la conversion ou à l'esclavage (dhimmi).

Le danger serait que la Chine, aveuglée comme nous l'avons été par notre arrogance, typique des vieilles et puissantes civilisation, ne voie pas venir le danger et ne se protège pas des stratégies habituelles aux sociétés segmentaires, parmi lesquelles l'hypergamie (qui permet aux hommes d'épouser une femme d'autres clans, tribus, castes ou religions mais refuse ce droits à leurs femmes, à qui il est ainsi interdit de sortir de leur caste d'origine) et la grande prolificité, aboutissant à une démographie incontrôlée, se fondant entre autre sur un statut défavorable de la femme.

Un moyen de contenir l'islam chinois serait de commencer par ne pas leur permettre, pas plus qu'aux Han, d'avoir plus d'un enfant et si cela ne suffisait pas, d'interdire aux musulmans d'épouser des femmes qui ne sont pas nées musulmanes.

Revenant d'avoir visité les Temples du Ciel, du Soleil, de la Lune et de la Terre, où le culte n'est plus célébré depuis la victoire du communisme, j'avais dit à Xavier trouver regrettable que ces rituels aient disparu. Comme je lui disais qu'il faudrait que le Président de la République recommence à sacrifier aux astres chaque année comme le faisait jadis l'Empereur, il me regarde un peu narquois et précise : pas « sacrifier », mais faire une cérémonie, réciter des poèmes et offrir de l'encens.

« La religion est l'opium du peuple » disait Marx. Mais sans cet opium, il semble que les peuples ne puissent ni vivre ni survivre et conserver leur identité. Sans un opium de cette sorte, l'espèce humaine en imaginant qu'elle soit un jour intégrée, dans le cadre de l'ONU devenu Etat universel, dans le meilleur des cas, pourrait-elle survivre ? En attendant, les civilisations qui se détournent de leurs religions traditionnelles sans fournir de « produit de substitution » le font au risque de se voir infiltrées puis détruites par des idéologies religieuses d'autant plus hypnotiques qu'elles sont simplificatrices comme l'est l'islam. C'est en fait la découverte majeure de Mahomet : plus c'est simple et brutal, mieux ça marche.

Le bouddhisme, qui n'est pas une religion à proprement parler – les entités suprêmes n'y sont pas des dieux mais des entités abstraites ou des états d'esprit, le Nirvâna, le Vide - utilise cependant certains des outils des religions – l'efficacité des symboles mais aussi l'hypnose - est un des premiers à l'avoir compris. Il représente en quelque sorte la méthadone de ces drogues dures que sont les religions monothéistes.

Si on considère qu'il y a en Chine quelque 300 millions de bouddhistes, un quart de sa population, cela en fait le premier pays bouddhiste du monde. Elle commence d'ailleurs à chercher, encore maladroitement, à utiliser cette donnée dans la cadre de sa recherche de voies d'affirmation d'un « soft power » - pouvoir d'influence, culturel et idéologique. Dans ce domaine, en dehors de son art millénaire, de sa langue et de sa littérature – difficile d'accès pour les non-chinois – la Chine a peu à exporter. Ni le taoïsme, ni le confucianisme, ni le communisme chinois ne peuvent être envisagés comme des produits d'exportation idéologiques. Ces idéologies sont trop spécifiquement chinoises et aussi peu susceptibles de s'acclimater en dehors de Chine que ne l'est l'hindouïsme, et ses castes, en dehors de l'Inde. Le bouddhisme par contre a derrière lui une longue histoire d'adaptation dans des environnements complètement différents de celui de ses origines.

La mode du zen japonais en Occident a peut-être joué un rôle non-négligeable dans la promotion des produits de ce pays en Occident depuis la fin de la Deuxième guerre. Pourquoi la Chine ne pourrait-elle pas exporter ses nombreuses écoles de bouddhisme ? Et se posant en tant que Dharmapala (défenseur de la foi)  protéger comme il conviendrait les lieux saints bouddhistes en Inde et au Népal. 

*

Je passe, pour ne pas lasser le lecteur, à des sujets plus légers.

Pékin. Au premier abord, venant de l'aéroport, même par grand beau temps comme le jour de mon arrivée, la ville semble un peu grise : océan de HLMs de béton. Mais propreté impeccable, circulation assez fluide et disciplinée, qui contrastent favorablement avec l'océan d'ordures et l'anarchie de la circulation dans les grandes villes de l'Inde, du Népal ou de Sri Lanka que j'ai surtout fréquentées ces sept dernières années. Plus de discipline aussi qu'au Vietnam où je suis encore passé en 2010.

Mais dès que l'on a dépassé la Second Ring Road (deuxième ceinture) pour entrer dans ce qui fut la Vieille Ville, l'environnement devient très agréable. Comme au Japon, larges avenues commerçantes bordées d'arbres, se coupant à angles droit, et entre lesquelles on trouvent des « hutongs » qui comme les « cho » à Tokyo contrastent par le calme presque rural qui y règne. Alors que je lui parle de ce contraste que l'on observe dans plusieurs pays d'Asie entre la vie des grandes artères et celle des « quartiers », William qui n'en connaît guère que Pékin, semble ne pas comprendre. Nous venons de manger dans un restaurant dai (minorité de la région de Dali) qui se trouve justement dans un hutong et en sortons pour nous diriger vers la grande avenue qui mène de Baixing à la Drum Tower quand un chant de coq, triomphal, éclate soudain dans une cour voisine. Je le regarde et nous éclatons de rire. Il a compris de quoi je voulais parler.


Des tours aussi bien sûr, mais entrecoupées de bâtiments et monuments anciens, d'espaces verts, d'élégantes avenues bordées de petits commerces et de restaurants. Les amateurs de vieilleries ont beaucoup regretté la destruction en vue des Jeux Olympiques de nombreux hutong (quartiers de maisons traditionnelles - si hé yuan - d'un étage organisées autour d'une cour intérieure et abritant souvent plusieurs générations d'une même famille étendue). Les mêmes ironisent sur la reconstruction à l'identique de certains de ces quartiers dans des endroits différents en matériaux plus récents. Je ne suis pas certain que ces reconstitutions ne vieilliront pas bien. Par ailleurs les anciens hutong qui ont échappé à la pelleteuse reviennent à la mode. Les propriétaires les restaurent et les ré-occupent, les exploitent – commerces d'art, galeries, restaurants, salons de thé - ou les revendent de plus en plus cher. Le Alley Garden Hotel où je logeais entre dans cette dernière catégorie.



Luoyang, le 23 septembre 2012

Arrivé hier de Kaifeng, avec détour par Shaolin.

A Kaifeng, je logeais à l'Auberge de Jeunesse de YinBinLu, que je ne peux trop recommander. Les auberges de jeunesse (YHA) représentent sans doute en Chine le meilleur rapport qualité/prix que l'étranger au budget limité puisse y trouver. L'accueil est très amical, le personnel parle anglais mais se prête volontiers à enseigner les rudiments du chinois à qui le désire. Sur la carte, des déjeuners et quelques plats occidentaux. Pour 120 yuan une chambre plus que correcte et un environnement amical et très pratique – 200 m d'un magasin offrant vins européens et chinois (Changyu) de qualité et 300 m du seul endroit de Kaifeng où l'on trouve un café digne de ce nom.

A proximité, j'ai visité le temple taoïste de Yanqing - où j'observe à la dérobée ce qui semble être une séance d'exorcisme ou de psychothérapie de groupe où dans une espèce de transe sans doute induite les gens expriment leurs problèmes en présence de gens du voisinages – ainsi que le très beau site attenant, millénaire, de la Préfecture sur la rive du lac. Dans le Nord-Ouest de la ville parcouru le Pavillon du Dragon (Longting Park) , sur le site du Palais impérial des Song du Nord. Mais, c'est le Dai Xiangguo également proche de l'hôtel de jeunesse qui m'a le plus intéressé. Ce monastère comme celui de Shaolin, remonte au 5e EC et donc à la seconde vague de l'expansion du bouddhisme en Chine, coïncidant à peu près avec l'émergence du ch'an/zen. Je suis donc bien dans cette partie de la Chine où le bouddhisme a vraiment pris son premier essor entre les débuts de l'ère chrétienne et le 5e EC.

Deux heures de voyage entre Kaifeng et Shaolin. Nous sommes quelque 500 km plus vers l'ouest dans cette partie de la Chine qui représente le "Milieu de l'Empire du Milieu". C'est ici dans ce paysage de plaines, de plaines alluviales et de collines limoneuses qu'est née la Chine il y a quelque 4000 ans. Mais à mesure que nous progressons vers l'Ouest le climat devient plus continental donc plus chaud.

Comme je suis prévenu, je ne suis pas trop déçu par l'aspect de foire populaire qu'a pris ce lieu où Bodhidharma a sans doute vécu, qui a vu les débuts du bouddhisme chinois ch'an, ancêtre du zen japonais, et certainement les début des arts martiaux bouddhistes et chinois (kung fu). Un peu l'impression à l'arrivée de me trouver dans une espèce de Lourdes chinois.

Après avoir trouvé à consigner ma valisette et mon sac, je me lance sur la piste qui mène à l'ancien monastère à proprement parler dont je crains qu'il ne reste pas grand chose car on m'a dit que Shaolin n'est plus qu'une vaste école de kung fu gérée par l'état et le PC chinois. Plusieurs milliers d'étudiants, chinois et étrangers, s'y forment à la discipline initiée, prétend la tradition, par Bodhidharma lui-même. En chemin vers le monastère, j'entrevois d'ailleurs derrière les arbres des bâtiments assez gris, et décrépis qui ont l'air plus l'air de de casernes que d'installations monastiques. C'est sans doute là que sont hébergés les élèves.

Après 45' de marche j'arrive au monastère, dont la première édification remonte au 5e EC. Les bâtiments actuels ne remontent qu'au 14e- 15e siècle, donc aux Ming tardifs ou aux premiers Ching.
Ils n'en sont pas moins encore très impressionnants. Et contrairement à ma crainte nous ne sommes pas accueilli par des cerbères du PC mais par de vrais moines. Il y a en a donc encore. Le grand nombre de touristes n'empêche pas l'endroit - enfilade de cours escaladant les flancs de la colline, consacrées à des incarnations de plus en plus raffinées de la bouddhéité, la dernière étant Samanthabadhra, si je me rappelle bien, et chacune de ces cours dominée par un pavillon monumental à toit s'incurvant aux extrémités - .de produire une impression puissante. J'en arrive à pardonner aux moines, un peu transformés il est vrai en boutiquiers, embusqués qu'ils sont dans leurs échoppes à chacun des niveaux du site, à tenter de fourguer leur camelote au croyant.

Mais ce sont, doit m'apprendre un de leurs élèves Ougandais et francophone, d'authentiques moines dont plusieurs pratiquent aussi le kung fu de Shaolin et certains l'enseignent.

Avec Shaolin, je continue donc ce pèlerinage longtemps reporté, depuis l'époque où en 1981, plus de 30 ans, le professeur Shi nous guidait dans la traduction du chinois des Biographies de moines illustres, et j'entendis pour la première fois mentionner le nom de Luoyang et celui du Monastère du Cheval Blanc, premier monastère bouddhiste en Chine, que je vais visiter après-demain.

Entre Kaifeng et Luoyang, vu deux mosquées flambant neuves dans cette partie de la Chine pourtant assez éloignée des régions où les Hui sont majoritaires ou représentent d'importantes minorités.

Luoyang, mardi 25 septembre 2012

Arrivé samedi 22 en fin d'après-midi, et passé les deux premiers jours à trouver mes repères – banques, restaurants, magasins, espaces pour la marche post-prandiale , exercice indispensable à la gestion de mon diabète - aux alentours de l'auberge de jeunesse sur West Zonghzhou Lu à côté de l'église.

Luoyang est située au centre de ce qui fut sans doute le berceau le plus ancien de la civilisation chinoise puisqu'à proximité du site de Er Li Tou où furent identifiés des restes de ce qui fut sans doute la plus ancienne « dynastie », celle des Xia (2200-1700) antérieure même à celle des Shang (1700-1100) dont le centre se trouve plus à l'Est du Henan, à Anyang. Les Xia, encore à moitié mythologique succèdent immédiatement aux souverains archétypaux, partie génies, partie héros, partie dieux à composante animale (boeufs ou dragons) liés aux inventions fondatrice de la civilisation, pêche, chasse, élevage, agriculture et écriture : la déesse Nügua, tête humaine et queue de dragon créa l'homme à partir d'argile ; Fuxi, son époux, également mi-humain mi-dragon fut le premier chasseur, pêcheur et éleveur. Le dieu à tête de boeuf Shennong fonda l'agriculture et la pharmacopée végétale. Le Premier empereur archétypal Huang Di inventa la poterie, le calendrier les bateaux et les armures ; Shun inventa le pinceau avant d'abdiquer en faveur de Yu premier empereur Xia.

Dimanche visité le musée de la vie populaire locale (retrouver le nom exact) et les quelques rues anciennes ou reconstituées juste derrière l'hôtel et parallèlement à West Zhongzhou. Marquée par deux portes anciennes au niveau d'anciennes fortifications et de douves cette rue rectiligne courant d'Est en Ouest est tout ce qui reste de ce site urbain probablement quadri ou tri-millénaire. Les seuls vestiges réellement préservés sont la Pagode du Cheval Blanc et le petit monastère voisin de Qiyun (69 EC) – actuellement une « nonnerie » - où résidèrent les premiers missionnaires bouddhistes en Inde, Kasypa Matanga (She Mo Teng) et Dharmaraksha (vers 64-69) traducteurs ou compilateurs du Soutra en 42 sections qui représente la première oeuvre de la littérature bouddhiste chinoise. Le Parthe (Iranien) An Shi Gao, y arriva en 148 EC. Ce premier traducteur mentionné comme tel par les sources chinoises est un sarvastivâdin, il traduit surtout des passages d'oeuvres sanscrites portant sur les doctrines fondamentales du bouddhisme, sur la méditation et l'abhidharma. Mais aucun texte mahâyâna. Peu après lui un laïc, également parthe, appelé An Xuan traduisit avec l'aide du Chinois Yan Fotiao le texte mahāyāna Ugraparipṛcchā-sūtra (en chinois Fajing jing, Taishō no. 322) vers 181 EC.

Trois siècles donc - alors que mahayana et theravada n'étaient pas encore clairement distincts - avant le célèbre Kumarajiva (344-313, mort à Chang'an/Xi'an, et qui de sarvastivadin devint madhyamaka) premier traducteur important de textes sanscrits vers le chinois et cinq siècles avant le moine voyageur, importateur d'écritures sanscrites et traducteur, Xuan Zang (Luoyang c. 596/602 – Chang'an/ Xi'an 664).

Un peu d'émotion en repensant à mon vieux maître le professeur Shi, à l'Université catholique de Louvain, de qui j'ai entendu pour la première fois tous ces noms de lieu et de personnages célèbres. Me rappelle aussi son anti-cléricalisme sans complexe, qualifiant d'ayatollah  les professeurs de l'Institut de théologie – qui contrôlait quand même un peu le contenu des cours de l'Institut orientaliste. « Sale curé ! » l'entendis-je un jour exploser.

Agréablement surpris de voir qu'une partie du domaine de la Pagode est consacrée au « bouddhisme international » et que des temples de style thaï, malay et indien (2007) y ont déjà été édifiés. Ce dernier bâti en un pierre rose (granit?) combine de manière assez réussie une conception globalement moderne avec des élément stylistiques de Sanchi. Il est le fruit d'une initiative de Atal Bihari Vajpayee lorsque Premier indien en 2004 venu s'incliner sur les tombes de deux missionaires indiens Kasyapa Matanga (ShiMoTeng) et Dharmaraksha (Zhu Fa Lan) traducteurs ou compilateurs du Soutra en 42 sections, premier texte de la littérature bouddhiste chinoise.

Les photos d'un abbé assez jeune encore, flanqué bien sûr d'officiels du régime, en compagnie de diplomates et personnalités étrangères, me font penser que contrairement à ma crainte le régime est conscient du rôle que la Chine peut jouer dans la défense et illustration d'un bouddhisme global.

Xi'an le 27 septembre 2012

Le lendemain de mon arrivée à Luoyang, alors que j'étais attablé devant mon petit dej, je vois un jeune en costume de football qui à peine entré me fixe d'un air interrogateur. Il se dirige vers moi et me demande s'il peut s'asseoir. J'acquiesce.

Je devais le retrouver chaque jour pendant cinq jours deux heures de préparation à son examen d'anglais en octobre. Il insiste aussi pour accompagner ma promenade post-prandiale du soir au cours de laquelle nous parlons à bâtons rompus. Il me raconte sa vie et m'interroge sur la mienne. D'abord un peu surpris, comme je n'ai pas grand-chose d'autre à faire de mes soirées et que ce jeune de 21 ans m'étonne non seulement par son culot et son énergie mais par sa culture et son intelligence, je me laisse prendre à son jeu.

Haishan est originaire de la ville historique de Quanzhou au Fujian, face à Taïwan, à l'extrémité orientale de la Route de la Soie, me dit-il. Il fait un baccalauréat en anglais/histoire à l'Université de Luoyang.

Je suis un peu sur mes gardes car le gars n'est pas timide et je sais que beaucoup de jeunes Chinois, comme de Vietnamiens, cherchent à s'expatrier et que tous les moyens sont bons pour arriver à leur fins, y compris le charme, les sentiments ou l'intimidation. Il essaie effectivement un peu des trois mais avec tellement de doigté, d'habileté et finalement de gentillesse et d'intelligence que j'entre dans son jeu sans toutefois m'y laisser prendre. Il ne mentionne d'ailleurs qu'il serait prêt à étudier en Belgique que le dernier jour, la veille de mon départ.

Lorsqu'il m'accompagnera le 27 au matin à la gare de Luoyang pour m'aider à prendre le train rapide (2 heures au lieu de six, vitesse moyenne 200 km/heure) je sais beaucoup de lui : son père ne l'a guère marqué, il doit beaucoup à sa mère, institutrice, il n'aime pas le communisme, s'intéresse surtout à l'histoire, à la littérature, à la philosophie, à l'économie et à la politique, sans être nul en sciences et en maths, et a de grands projets ....

De moi il a assez compris pour m'avoir dit la veille au cours de notre dernière promenade nocturne : «  in fact, you are an old beatnik , like Steve Jobs», car il a aussi lu On the Road de Jack Kerouac, sait d'où viennent les bouddhistes occidentaux et qu'ils n'ont pas grand-chose à voir avec les bouddhistes asiatiques. Il sait même qui est Epicure. Lui-même se définit comme athée ...

J'aime son pragmatisme confinant au cynisme. A la fin du modeste repas que nous partageons dans un restau du quartier la veille de mon départ, comme je sors ma seringue pour m'injecter ma dose d'insuline, sans prendre la peine d'aller au toilettes – il n'y a pas grand monde dans le restau et personne ne me remarque – et lui dis « de toute manière la plupart des gens sont aveugles, ils ne voient du réel que ce qu'ils désirent ou ce qui le effraie », il me commente hilare «  si t 'étais une belle fille il t'auraient vu ». Un peu plus tard, comme nous marchons vers l'hôtel, il s'arrête et me demande

  • Do you think I am handsome ? 
  • You all right » réponds-je, après l'avoir considéré de haut en bas.
  • You must have been all right too when you were younger », ajoute-t-il, aimable.

Non content d'être intelligent, beau et beau-parleur, il est bon au foot et joue de la guitare. Les filles lui courent après, me confie-t-il. C'est pour cela qu'il vit à l'hôtel plutôt qu'à l'université. Sinon, il ne pourrait pas travailler ...

*


Le mardi 25, j'ai visité le célèbre site de Longmen. Indépendamment des grottes et du superbe Vairocana qui domine la rive ouest de la rivière Yi, l'environnement est grandiose et superbement aménagé et je commence à me dire que les guides de voyage et les bouddhistes occidentaux sont trop sévères vis-à-vis de la Chine communiste et de l'utilisation, il est vrai un rien trop commerciale, je l'admets, de sa tradition bouddhiste. Après tout, je n'ai jamais vu La Mecque, mais ce n'est pas pire que Rome et c'est sans doute mieux que Lourdes.

Beaucoup aimé aussi le monastère de Xiangshan sur la rive Est, où l'on peut aussi visiter la superbe maison où eut lieu en 1939 une réunion présidée par Jiang Jieshi (Chiang Kaishek) au cours de laquelle fut décidée la stratégie visant à déloger les forces maoïstes du Nord-Ouest (Shaanxi, Gansu, Ningxia) alors que plusieurs de ses généraux travaillaient déjà avec les communistes. Beaucoup aimé le Bouddha polychrome du 17e siècle qui siège dans le temple.

Xi'an

L'après-midi même de mon arrivée après un lunch léger et une courte sieste je visite la fameuse Dayan Pagoda – Wild Goose Pagoda/ Pagode de l'Oie Sauvage – où furent entreposées les écritures en sanscrit et autres langues indiennes ramenée de l'Inde par Xuan Zang au 7e siècle..

Le 28 septembre 2012

Excellent petit déjeuner et premier relevé de mon courrier électronique grâce au réseau du King Coffee. Puis je prends le bus K609 en direction du quartier musulman situé derrière la Drum Tower. Je me rends compte que cette ligne passe à proximité de la Small Wild Goose Pagoda (Xiaoyan Da) où sont entreposées des écritures sanscrites rapportées par des voyageurs postérieurs ( 8e siècle EC) à Xuan Zang et où vécut le traducteur Yi Jing, également de cette époque relativement tardive.

Visite aussi le superbe musée moderne attenant à la pagode. Collection de pièces de jade et d'or mais surtout de buddhas remontant au tout début de la pénétration du bouddhisme dans la région, venant du Gansu, du Qinghai et du Turkestan chinois. Emu de voir la progression de ce premier art bouddhiste chinois depuis ses débuts à l'époque des Jin et des Wei, art encore rudimentaire et naïf mais marqué de la sincérité et de l'enthousiasme de ces premiers croyants qui comme les bouddhistes occidentaux sans doute trouvaient surtout dans cette foi nouvelle - qu'ils ne comprenaient que partiellement, et même erronément - ce qu'ils y cherchaient et en retenaient sans doute surtout la technique de la méditation et bizarrement la croyance en une âme et en une survie, fût-ce sur la forme de la transmigration. Dans cette culture encore marquée par l'animisme chaque individu a simultanément plusieurs « âmes » et les seules formes de survie individuelle, dans le sens où nous l'entendons, envisagées jusque-là était la survie biologique qu'implique la procréation – d'où sa sacralisation et le culte des ancêtres. Avec le bouddhisme, le débat sur l'existence d'une âme individuelle – âtman – que le bouddhisme indien résout d'ailleurs par la négation de l'âme (anâtman) entre dans la conscience chinoise. Paradoxalement, à l'occasion de ce débat, c'est surtout la découverte du concept d'âme qui va retenir l'attention des Chinois, et le bouddhisme chinois des débuts favorisera l'idée d'une âme qui transmigre ainsi que celui d'une « conscience universelle ». Alors que, paradoxalement encore, ce qui dans le bouddhisme intéresse surtout les Occidentaux est son athéisme et sans négation d'une âme individuelle « substantielle » et éternelle.

En bref, les vagues successives d'expansion du bouddhisme, en Chine d'abord, en Occident ensuite, reposent sur des malentendus, parfois savamment entretenus par les propagateurs de la foi, l'essentiel étant sans doute pour eux, en harmonie avec le pragmatisme du Bouddha, de pratiquer la méditation.

Pour revenir à l'art bouddhiste chinois, on le voit ensuite évoluer à l'époque des Zhou et des Qin postérieurs puis des Sui pour se raffiner alors qu'il pénètre l'aristocratie, puis sombrer dans le maniérisme avec les Tangs puis les Song.

On trouve déjà à Xi'an ou aux alentours des pagodes représentant toutes les sectes qui vont proliférer au cours des siècles suivants et constituer l'arbre du « bouddhisme chinois », bouddhisme nouveau, très différent du bouddhisme indien des origines, et qui va marquer tous les pays satellites de la Chine avant de marquer également le bouddhisme occidental quelque 2 000 ans plus tard.

*

Je me dirige ensuite vers la Drum Tower qui marque le centre de la ville ancienne, au nord-est duquel se trouve le quartier musulman et la grande mosquée, remontant elle aussi au 7e siècle EC.
Je m'y aventure après une salade de poulet, frites au Mac Donald qui en barre l'entrée.

Quelques femmes portant hijab, et des restaurants visiblement halal. Pas mal de touristes occidentaux ou du Moyen-Orient aussi. Ne trouvant pas la grande mosquée, je m'adresse à un groupe de touristes hollandais dont la guide – chinoise – me dit de les suivre. Je suis donc le drapeau hollandais en échangeant quelques mots avec des Limbourgeois, peut-être des parents puisque mes ancêtres paternels viennent de la région de Maastricht. Ayant trouvé la mosquée, je les remercie et explore seul l'endroit.

Je dois reconnaître que mes dispositions ne sont pas bienveillantes. Je remarque que le minaret, de style chinois comme d'ailleurs tout l'ensemble architectural, jardins, bains et salle de prière – interdite aux infidèles – est très court et trapu. Sans doute les dynasties – Tang, Song, Yuan, Ming et la dernière, Ching, sous laquelle la mosquée fut reconstruite, veillèrent-t-il toujours à ce que le priapisme propre à cette religion ne puisse trop ouvertement se développer.

Le guide chinois d'un autre groupe, composé d'Allemands, me dit que les musulmans chinois lisent le Coran et prient en arabe et en chinois. Allah se dit également « allah » en chinois.

Globalement l'ambiance du quartier sans être agressive ou tendue n'est pas particulièrement chaleureuse et sachant ce que je voulais savoir, je quitte l'endroit sans regret.

Pour la première fois depuis mon arrivée en Chine, le 12 septembre, les soirées commencent à fraîchir. Nous sommes il est vrai à quelque 1500 km de la côte au centre de la Chine historique, beaucoup plus continental que Pékin, et les montagnes de l'Ouest sont relativement proches.

Les chats chinois dédaignent-ils le lait ? J'ai eu beau insister auprès de l'un d'eux pour qu'il accepte un godet de lait reçu dans un café. Rien n'y fit ... J'en conclus que les Chinois, qu'ils soients hommes ou chats, n'aiment pas le lait et les produits laitiers. Le réceptioniste du Jano Belgian Guesthouse, sous les remparts sud de la vielle ville, près de Nan Men donc, me dit que les chats chinois aiment en général le lait. Ce chat-, insiste-t-il, ne l'aime pas.


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