Wednesday 31 October 2012

Kaifeng. La Chine, le pétrole, l'islam et la Russie


     Journal Chine 2012

Kaifeng le 19 septembre 2012

Une semaine exactement après mon arrivée à Pékin, où je logeais au Alley Garden Hotel dans un hutong proche du Temple des Lamas.

Mes motivations pour ce troisième voyage en Chine, alors que j'approche les 68 ans.

Après ma découverte du monde chinois en 1983 – Taiwan, Hong Kong, Shenzhen – et un voyage à Shanghaï, Nanjing, Suzhou, Hangzhou, Yangzhou en 1999 ou 2000 alors que je travaillais à Hanoï, je voulais voir le Nord, Pékin, les anciennes capitales du Fleuve jaune – Kaifeng, Luoyang, Xi'an – et si possible faire une incursion dans l'Ouest et le Sud-Ouest, avant de faire un saut à Bangkok pour y saluer Thierry Theuwissen et de revenir à Pékin aux environs du 5 novembre en vue d'un possible retour en Belgique le 15 novembre, à moins que je ne continue mon séjour en Asie jusqu'à l'année prochaine.

Un autre thème guide cependant cette troisième aventure chinoise : alors que les relations entre l'Occident et le monde musulman s'enveniment après la mise en ligne sur YouTube de The Innocence of Muslims, au point de voir les ambassades US du Caire et de Benghazi détruites par des groupes armés spontanés, et Chris Stevens, ambassadeur américain à Benghazi, pourtant « arabophile » et ayant contribué à la récente chute de Khadafi, trouvé inconscient dans l'ambassade en flamme et peut-être achevé par ses « sauveteurs », je veux tenter d'évaluer la qualité des relations entre les Han et l'islam et plus particulièrement la minorité musulmane des Hui présente, en dehors de leur berceau du Ningxia, dans toute la Chine, entre autres à Pékin et Kaifeng.

Dans un article du China Daily (15 septembre) , intitulé Washington needs to rethink [its Middle-East] policies, citant Yao Kuangyi, ancien ambassadeur de Chine en Turquie, Zhou Wa ne déguise pas un sentiment sans doute partagé par beaucoup en Chine : Washington et l'Occident se sont trompés en cherchant à s'attirer les sympathies des populations du Moyen-Orient arabe par leur support aux révolutions du Printemps arabe. L'Occident aurait en fait été utilisé par les extrémistes islamistes.

Premier contact avec Pékin très positif, grâce à l'intermédiation de William Peter-Riquet, Français ami de Louise Favre, et y travaillant dans l'hôtellerie depuis trois ans. Il m'a trouvé un hôtel bien situé, dans un quartier calme du centre de la ville, et pas trop cher. 170 Y la nuitée, soit un plus de 20€. Il s'agit en fait d'une de ces maisons (si hé yuan) typique du vieux Pékin, organisées autour d'une ou deux cours intérieures communiquant. Un arbre dans chacune des deux cours où le jour de mon arrivée souffle une brise tiède très agréable. Des plantes vertes, deux chats et un personnel très correct. Leur anglais est élémentaire mais j'arrive quand même à interviewer l'un d'entre eux sur l'islam et les Hui.

Il semble vouloir me dire que les musulmans chinois sont chinois avant tout, et très différents des Arabes. Ils vivent entre eux me dit-il mais ne sont pas de ce point de vue différents d'autres minorités chinoises et leurs femmes ne portent ni hijab ni niqab - le voile complet. Mais, semble-il vouloir ajouter, si elles le voulaient, elles le pourraient. En Chine, on s'habille comme on veut ...

La Chine a déjà fait des concessions considérables à cette minorité – droit d'avoir plus d'un enfant – et pourrait en faire d'avantage, dans le but bien sûr, comme l'Occident le fit il y a quarante ans, de s'assurer la sécurité des approvisionnements pétroliers. D'après le China Daily (13 septembre) des accords seraient en voie d'être conclus en vue d'ouvrir le Ningxia, précisément, à des investissements arabes du Golfe. Pour faire face à la crise financière et à la chute des exportations vers les USA et l'UE, d'après les déclarations de son Vice-Premier, Li Keqiang au cours du troisième China-Arab States Economic and Trade Forum à Yinchuan, capitale de la région autonome du Ningxia – où vivent 2,2 millions de musulmans Hui – la Chine envisage d'ouvrir plus largement ses régions occidentales en y permettant «  an inland opening-up trial zone ... and a comprehensive tax-free zone » dans les domaines de la finance, des énergies renouvelables et des produits chimiques ; en échange la Chine investirait dans les technologies, les infrastructures et la modernisation de l'agriculture dans les pays arabes.

La coopération entre la Chine et les six pays arabes du Golfe remonte à 2004 avec l'inauguration des China-GCC (Gulf Cooperation Council) free tradee agreements talks. En huit ans et cinq rounds les échanges ont augmenté de 44,5 % pour atteindre 133,8 milliards ; les exportations chinoises vers ces pays auraient augmenté de 30% et leurs importations de ces pays de 53,8%. La Chine et les pays du Golfe voudraient atteindre les 300 milliards de dollars d'échange en 2014.

Le China Daily du 18 septembre cite Jamila Matar, directeur du Département de l'énergie de la Ligue notant que « la relation entre les pays arabes et l'Occident est instable. Le moment serait venu d'intensifier la coopération entre la Chine et les pays de la Ligue arabe en matière d'énergie – pétrole et gaz – étant donné l'accélération de la production du gaz de schiste aux USA – couvrant déjà 35% de leurs besoins – alors que la Chine aura de plus en plus besoin du pétrole et du gaz arabes » (Third China-League of Arab States Energy Cooperation Conference, Yinchuan, Ningxia autonomous region).

La China National Petroleum Corp (CNPC) investit déjà dans 22 projets (raffineries) de production de pétrole et gaz dans les pays arabes, dont sept au Soudan, un en Irak, et des perspectives en Algérie, laquelle a surtout travaillé avec des compagnies occidentales. Sinopec (China Petrochemical Corp) aurait coopéré avec treize pays de la Ligue des pays arabes. La Chine aurait en 2011 importé de ces pays 54% de son pétrole brut.

Dans le même numéro du China Daily, He Wenping, director of the African Studies Section of the Chinese Academy of Social Sciences, analysant les causes, multiples de l'animosité entre le monde musulman et l'Occident, parmi celles, proches, objectives et reconnues par tout le monde, en mentionne une qui l'est moins : un prétendu « sentiment inhérent de supériorité culturelle et un manque de tolérance pour les autres religions ». Sur ce point, He Wenping est soit mal informé soit de mauvaise foi. Il continue notant que l'Islam représente 1,5 milliard de fidèle, dépassant ainsi le catholicisme. On comprend à cette remarque l'obsession « catholique » de la Chine et son opposition à une réelle autonomie de l'Église catholique en Chine. Celle-ci représente – représentait ? - effectivement une puissance redoutable que nous, nés dans des pays de culture catholique, ne percevons parfois pas clairement. On peut comprendre qu'un pays comme la Chine où l'Etat a traditionnellement été considéré comme une expression du divin ne veuille pas d'une telle concurrence incontrôlée. La Chine contrôlerait-elle mieux sans perdre son identité un islam où le pouvoir est beaucoup plus diffus ou moins centralisé, se partageant entre quelques oulémas, universités et least but not least chefs de clans ou de tribus. Ce dernier lieu de pouvoir trait donne d'ailleurs à l'islam, sunnite surtout, des traits qui lui sont communs avec les associations mafieuses.

D'après He Wen Ping, l'islam serait vu par l'Occident comme une religion extrémiste et cela «  surtout depuis 11 septembre 2001 ». L'Occident devrait « apprendre à respecter les autres civilisations, cultures et religions ». Il termine sa copie en mentionnant l'étonnement de Hillary Clinton : comment est-il possible que des gens que nous avons aidé à libérer, dans une ville que nous avons aidé à sauver de la destruction, s'en prennent à nous au point de tuer et sans doute profaner la dépouille de notre ambassadeur ?

Pour le Chinois la réponse est simple : cela n'est que rétribution prévisible pour avoir aidé la « démocratisation » dans un pays qui n'était pas mûr. Il ne peut ou ne veut, pas plus que Clinton peut-être, voir la véritable source de l'insupportable paradoxe : le devoir fait aux musulmans de tromper l'infidèle.

Considéré à posteriori, voilà ce qui s'est en fait passé : les Lybiens et Egyptiens, en bons musulmans qu'ils sont pour la majorité, ont fait payer les frais de leur libération – ont utilisé l'Occident – pour se débarrasser des dictateurs qui barraient la voie à la « démocratie » islamique.En s'en prenant à leurs dictateurs, ils s'en prenaient déjà à l'Occident mais, perversité suprême, ils utilisaient l'ennemi ultime (l'Occident) pour éliminer l'ennemi proche (les dictateurs).

*

Je me rends vite compte que mes habitudes en tant qu'utilisateur d'internet vont devoir changer. Pas moyen de me connecter à Facebook et je n'arrive pas à ouvrir certains articles contenant les mots « islam », « racisme », ou « révolution », entre autres. Sur la TL, aucune chaîne étrangère. J'étais prévenu, mais suis quand même un peu étonné. Au Vietnam il y a deux ans, on recevait CNN même si certains programmes étaient censurés.

Kaifeng, le 20 septembre 2012

Je retrouve un numéro du Herald Tribune (11 septembre) lu dans l'avion qui m'amenait à Pékin. Un article intitulé Land-rich Russia lures cash-poor Chinese m'y apprend qu'entre la Russie, riche en terre mais pauvre en hommes et la Chine riche en main d'oeuvre et relativement pauvre en terre, un nouveau type de coopération s'installe. Des investisseurs chinois sont autorisés non seulement à leaser des terres le long de la frontière chinoise du Nord-Est et en Sibérie – où ce sont des exploitations forestières qui dominent - pour y employer de la main d'oeuvre chinoise mais aussi à acheter des terres en Russie centrale jusqu'aux abords de Moscou et de Saint-Pétersbourg où ils emploient des saisonniers chinois dans les cultures céréalières et maraîchères. Cette main d'oeuvre y est payée jusqu'à cinq fois plus qu'en Chine.

La Russie voudrait porter ses échanges avec la la Chine de 80 milliards en 2011 à 200 milliards dans un avenir proche encore indéterminé. Par comparaison les échanges Chine-USA se montaient à 503 milliards en 2011.

S'il y a des incidents entre Russes et Chinois, ils sont relativement peu fréquents. Pas encore d'histoire d'amour, mais d'après plusieurs babouchkas (grand-mères) rencontrées au marché, note le journaliste, Andrew E. Kramer, « Russes et Chinois peuvent coexister paisiblement dans les campagnes russes ».

Les peuples qui échangent leurs femmes – pratiquent le mariage mixte - ne peuvent se faire éternellement la guerre. Or c'est bien le cas tant des Chinois que des Russes post-communistes. Dans ces sociétés foncièrement exogames, une fois les premiers étonnements et premières résistances dépassés, après une ou deux générations, une certaine familiarité s'installe, on s'assoit autour de la même table et en l'absence de tout interdit alimentaire ou autre obstacle légal ou religieux, le processus d'intégration s'entame.

Il y aurait actuellement 400 000 Chinois en Russie, 3,5 % seulement de tous les immigrés venant essentiellement des anciens états soviétiques d'Asie centrale, mais l'immigration chinoise pourrait bien augmenter. N'est-ce pas à souhaiter ?

Envoi groupé le 21/9/12












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